Ce soir encore je regardais à travers la fenêtre de ma chambre. L'épais manteau bleu marine de la nuit recouvrait la ville.
Comme chaque soir, les lumières s'éteignent au fur et à mesure jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'une seule: la mienne.
Ma lumière reste allumée toute la nuit durant, tandis que mon ami joue avec moi.
Il est gentil, un peu plus grand que moi et aussi très intelligent.
Il n'y a pas si longtemps, mes parents ont fait venir un docteur. L'homme m'a examiné et dit à mes parents des choses que je n'ai pas comprises, comme le mot " asile ". Des mots que je ne comprends pas, il y en a beaucoup. A 14 ans, je ne suis pas allée souvent dans une école. Mes parents disaient qu'aller à l' " asile " c'était bien mais bizarrement je n'ai jamais aimé ça.
Depuis ma plus petite enfance, je suis enfermée dans cette chambre et on m'apporte à manger sans contact physique. J'ai beau grandir, je me sens toujours aussi petite et aussi débile. Mon ami, lui, me traite comme une grande. Dans ce monde, personne ne parle à personne et tout le monde marche toujours dans la même direction. Je suis dans cette chambre et j'ai un ami. C'est tout ce que je sais. De temps en temps, j'entends des gens parler comme s'ils étaient à côté de moi mais je n'arrive pas à les voir. Ils hurlent: "Reprends-toi chérie ! " ou encore " ma fille bas-toi contre ça ! " mais j'ignore d'où ça vient alors je m'en fiche.
A chaque fois, mon ami me dit que je ne dois pas les écouter pas et continuer à jouer. C'est de plus en plus fréquent et on veut me retirer de ma chambre.
Je suis bien dans ma chambre moi. Mon ami, appelons-le A, m'empêche de sortir de ma chambre.
Je commence à ressentir le besoin irrépressible de sortir et de laisser tomber cette situation dérangeante.
A me dit à chaque fois que si je ne reste pas, j'aurais à affronter un monde bien plus dur et bien plus horrible que celui-là. J'ai peur. Je ne veux plus lui parler. Les hurlements, les appels, les chuchotements s'intensifient et je n'en peux plus. A m'a prise dans ses bras et m'a dit : " tu ne laisserai pas un ami tout seul ici ? Tu ne tenterai pas de guérir tout de même ? " je ne comprends rien.
Les jours passent et je reste à côté de lui sans rien dire. J'écoute et je commence à comprendre : les cris disent tous la même chose. Il faut que je me réveille, que je me reprenne, que je me batte ou encore que je guérisse. Contre quoi ? Apparemment contre la maladie. Laquelle ? La folie. C'est ce que je comprends de tous ces dialogues. J'aime beaucoup A, mais si il était la manifestation de ma propre folie ? Ce monde n'est apparemment pas le mien mais j'ai peur de le quitter. Comme si j'y avais ma place.
Il passe ce qui me semble être des mois. Je n'ai pas réussi à quitter cet endroit: lorsque j'ai tenté de m'enfuir, A a failli m'étouffer. J'ai peur et je n'ai plus autant envie de sortir. A force de rester dans cette pièce, sans que je m'en rende compte, des objets avaient bougé ou s'étaient ajouté. Il y a des couteaux et des objets tranchants ou pointus. Je ne pensais pas avoir peur de ça. Je regarde partout mais je suis obligée de me concentrer sur A au risque de me faire trancher la tête.
A était mon meilleur ami voire même mon petit ami mais il est devenu si agressif à l'idée que je sorte...
Je lui ai proposé de s'enfuir avec moi, mais il m'a répondu qu'il n'y a aucune issue pour lui. Nos liens se sont dégradés et ma chambre ressemble de plus en plus à une chambre hôpital qu'autre chose.
Mon ami dort à présent et la porte s'est ouverte. Je pense que c'est la dernière fois que je peux tenter quelque chose. J'ai réussi à sortir. Je suis allongée sur un lit et je vois des gens que j'ai du mal à reconnaître. C'est un lit d'hôpital. Les personnes présentes ont l'air soulagées et aussi très gentilles. On m'a expliqué que j'étais tombée dans la folie et que j'avais fini par tenter de me tuer. Ils m'avaient emmenée à l'hôpital et avaient demandé à m'envoyer en asile. Mais j'étais bien trop faible, il fallait que je sois rétablie avant d'y aller.
J'ai retrouvé mes parents, mes frères et soeurs et mes amis devant mon lit d'hôpital. Je pensais que tout était fini, jusqu'à ce que je vois une personne allongée sur le lit d'à côté. Son visage m'était familier sans que j'arrive à le situer précisément. J'ai demandé son nom au médecin. Il m'a d'abord dit que c'était confidentiel mais j'ai insisté et insisté encore, et il m'a enfin donné son prénom : Adrien.
Mes souvenirs, bien que n'étant pas très clairs, avaient bien un certain Adrien dans leur " Base de donnés " : le fameux A !
Je me suis levée d'un coup et me suis approchée de lui. Il était dans un piteux état, et il dormait en permanence. Sur sa fiche, j'appris qu'il était dans cet état depuis 3 ans. Prise de panique, je l'ai secoué, j'ai hurlé. Il devait se réveiller, il devait continuer à lutter! Quand nous étions encore ensemble, il m'avait dit qu'il avait lâché. A ce moment là je n'avais pas compris ce qu'il voulait dire, mais à présent il fallait qu'il lutte, tout comme je l'avais fait.
Mes efforts n'étaient pas vains. Ma dernière phrase fut "Je t'aime et je suis arrivée de l'autre côté. Viens avec moi"! Il s'est réveillé quelques minutes après et m'a serrée dans ses bras. J'aurai été tellement heureuse, pendant ces quelques secondes avant que ne disparaissent ma famille, les objets dans la pièce et tout le reste, quand le docteur prononça ces mots terribles "Pour le garçon ça devrait aller mieux maintenant qu'il est sorti de son état de folie, en revanche pour la fille, je crains que ce ne soit permanent".