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10 janvier 2014 5 10 /01 /janvier /2014 19:38

Il était une fois, puisque c’est ainsi que, sans doutes, les histoires commencent ou devraient commencer, une petite fille qui avait peur du noir.

Etait-ce une peur légitime ? Si elle aurait eu la curiosité de remonter jusqu’à ses plus lointains ancêtres, elle serait « légitime » dans le sens de « justifiable » : ses grands-parents de Jadis avait eu tellement la nausée des éventuels prédateurs, pouvant mettre fin à leurs jours à tout moment, qu’ils avaient transmis leurs peurs jusque dans les gènes de leurs petits-enfants millénaires. Elle aurait donc aisément pus se défendre, en disant que sa peur étais aussi légitime que ses yeux noirs ou ses longs cheveux, reflets de sa phobie de par leurs couleurs.
Toutefois, pour se défendre, il fallait savoir. Et la petite fille était trop jeune pour savoir. De plus, pour se défendre, il fallait des attaquants capables de recevoir les arguments : hors ses parents ne recevaient rien du tout, mis à part des dettes et des huissiers. Son père était en effet agent de service mal-payé dans une école maternelle, tandis que sa mère travaillait au noir, tentant comme elle le pouvait de faire quelques chose pour aider son conjoint. Alors, pour ne pas faire peser d’autres fardeaux sur leurs épaules de simples êtres humains, ils écartaient un problème pour se soucier d’un autre, beaucoup plus grave à leurs yeux : la nourrir. La première année de sa vie, la mère arrêta ses activités, et s’en occupa ; par la suite, ils durent trouver une autre solution. Ils n’avaient pas les moyens de payer un psychologue pour enfant, et le temps et les connaissances nécessaires pour résoudre le problème leurs manquaient.

Alors, la nuit, quand elle ne dormait pas, quand elle réveillait l’intégralité du petit quatre pièce dans lequel elle habitait avec de ses deux parents, ces derniers ne s’encombraient même plus de savoir ce qui la maintenait éveillée dans la frayeur, et l’envoyaient dormir dans un endroit quelques peu inconfortable : un simple petit placard dans lequel seul leur fille avait les dimensions nécessaires pour s’y plier et dormir. Le meuble de rangement possédait des parois assez épais, de sorte que les parents n’entendaient plus la petite taper et hurler d’angoisse. Coupables de ne pouvoir rien faire d’autres pour améliorer la vie de la famille, ils espéraient que ces peurs passeraient seules, avec le temps et l’âge. Mais, les trois ans qui suivirent, la seule amélioration constatée était l’arrêt du boucan après le « rangement » : l’enfant restait prostrée, repliée sur elle-même. Et s’endormait.

Un problème, toutefois, survenait, et ses parents en avaient conscience : bientôt, leur fille rentrerait à l’école maternelle, et devrait dormir. La rentrée approchant, et la situation n’évoluant pas, son père discuta avec un collègue de travail de son problème. Et son conseil avait fait germer en lui une idée.

Après le travail, il passa chez le brocanteur.

C’était un vieil homme, au crâne dégarni et au nez aquilin, légèrement recourbé. Sa boutique se trouvait dans une ruelle sombre, et il manquait de fenêtre dans son commerce, si bien que non seulement la lumière avait du mal à percer malgré une large baie-vitrée, mais une chaleur étouffante venait habiter les étroites allées encombrées de toutes sortes de choses. Toutefois, ce n’étais pas aussi effrayant que cela en avait l’air de l’extérieur: la boutique était éclairée par un lustre à la lumière orangée, tamisée. On aurait pu croire à un feu de cheminée. De plus, le vieil homme arborait toujours un léger sourire condescendant. Le père le connaissait bien. Il avait acheté ici la plupart de ses meubles et vêtements ; ils y étaient, en effet, à des prix très abordables. Toutefois, il n’était pas venu chercher cela.

Quand il passa la porte, le vieil homme regardait le journal de vingt heures sur une minuscule télévision. Le journaliste parlait d’un fait divers particulièrement atroce, des enfants tués devant une école par, apparemment, un sympathisant extrémiste. Des détails qui n’intéressaient nullement le brocanteur, qui éteignit rageusement la télévision d’un mouvement de télécommande bien net, le tout en marmonnant quelques choses d’incompréhensible. Il se tourna vers son client, qu’il reconnut, et afficha un sourire chaleureux.

« Que cherches-tu, Meulin ? »

Le père lui expliqua ce qu’il souhaitait. Le vieil homme acquiesça, et alla fouiller dans l’arrière-boutique. Il revint avec un vieux carton d’un peu moins d’une moitié de mètre cube, et l’ouvrit devant l’autre homme, qui parut satisfait. Il précisa qu’il avait servi deux fois déjà avant de lui parvenir. Deux destins funestes. Le père ne pris pas en considération ce détail, et lui demanda le prix de l’objet. Une misère.

Content de pouvoir se faire pardonner de ses mauvais agissements, le père acheta, et repartis en sifflotant l’air d’une comptine qu’il avait apprise, enfant. Déjà, il oublia l’histoire de ce qu’il transportait, et déjà, le vieux brocanteur ralluma sa petite télévision : le journal se terminait.

Le père arriva chez lui tandis que la lune, déjà, était brillante dans le ciel pollué de la ville. Quand il entra, sa compagne le réprimanda. Devant l’argument du père, une dispute éclata, à propos des dépenses inutiles et donc, de l’utilité de ce « fétiche », qui ne servirait à rien, si ce n’étais à rentrer tard, que le diner était déjà froid, qu’un de ses clients avait été « chopé par les flics », et qu’elle devait trouver une solution pour « refourguer » plus discrètement…

Pendant ce temps, la petite sortit de sa chambre, et, curieuse de nature, ouvrit le carton. Les yeux brillants, elle voulut embrasser son père, mais ce dernier était trop « occupé ». Elle avait l’habitude de ce genre de dispute qui passerait le lendemain. Elle alla donc dans sa chambre.

« Viens, on va jouer toi et moi. »

Et elle joua. Elle lui montra ses autres jouets : des dinettes en plastique made in china, une vieille boite de lego, des stylos et des feutres, volés ou achetés d’occasion. Elle nomma la peluche Toudou, en l’honneur de l’étiquette qui dépassait de sa nuque. Il était vieux, recousus d’un peu partout, avec un bouton à la place de l’œil gauche et un noueux papillon rouge autour du cou. Elle ne s’en soucia pas véritablement : elle parla avec lui, joua avec lui, se mit en pyjama avec lui, se brossa les dents avec lui, alla se coucher avec lui… Pour la première fois de sa vie, elle avait un ami à qui se confier, un allié avec qui elle allait pouvoir braver le monde, la vie.

Les parents ne le remarquèrent pas, mais cette nuit-là, l’enfant ne fit aucun bruit.

*

Si la maternelle, un simple point de passage ou elle s’était contentée de se taire et d’écouter, probablement pour que son père ne la voie pas dans son intimité scolaire, ne la fit pas remarquer auprès du public, le primaire lui donna bien des raisons de s’approprier l’admiration de tous.

Elle s’était en effet révélée, avec le temps, de nombreuses qualités qui lui offrirent d’emblée une place de choix dans l’échelle sociale enfantine : ses longs cheveux noirs, son teint de craie et ses yeux de charbon ne laissaient pas insensible. De plus, elle dépassait beaucoup de garçons quand il s’agissait de démontrer ses capacités physiques : sa souplesse était bien supérieure à la moyenne. Elle surprenait aussi sa maîtresse quand il s’agissait de lire, écrire et compter : elle était en avance sur tous les enfants de sa classe. Tout le monde lui souriait. Elle avait toutes les raisons d’être épanouie.

Pourtant, tout le monde sentait que quelque chose n’allait pas.

Ses yeux noirs ne semblaient en effet n’exprimer qu’une indécrottable lassitude, une fatigue permanente. Elle ne se sentait jamais véritablement concernée par ce qu’elle faisait, et ne souriait qu’assez rarement. Quand elle le faisait, c’était une copie calque de Mona Lisa, figée dans une figure énigmatique, comme une moquerie douce-amère. Elle semblait souvent pensive, ailleurs.

Ailleurs, c’était chez elle.

Elle commençait à comprendre que ce que sa mère faisait, pendant qu’elle était à l’école, n’était pas quelques chose d’ont on se vantait. Elle comprenait aussi que son père, un adulte, avait des problèmes. Avec cette chose. L’argent.

Elle avait hâte de devenir une grande. Pour quitter cette famille. Ne plus avoir de problème.

Elle n’avait plus peur la nuit : elle aimait croire que Toudou la protégeais contre les choses étranges et indescriptibles que les ombres logeaient. Ne pouvant parler à ses parents, trop épuisées de leurs journées, elle racontait les siennes à sa peluche. C’était les rares fois où elle ne se sentait pas seule. Elle câlinait son ourson, et lui parlait, parfois très tard dans la nuit. Lui semblait écouter, neutre, son regard borgne d’être sans âme parlant pour lui.

« J’ai l’impression, lui dit-elle un jour, légèrement triste, que je ne suis pas tout à fait pareille que les autres. Leurs jeux ne m’amusent pas. Les exercices que la maitresse nous donne sont simples, quoi qu’il se passe dedans. C’est comme si j’étais d’un autre pays. »

Et elle câlinait Toudou, toujours plus fort. Elle avait l’impression de frapper dans un punching-ball avec ses émotions, ses craintes, ses envies, ses pulsions. Et lui était là, impassible fasse à la conscience qu’il était incapable d’acquérir, absorbant toutes ses douleurs.

En grandissant, les qualités de la petite fille s’intensifièrent. Elle dépassait ses camarades dans tous les domaines, était devenue l’idole de toutes les petites filles, et la vénus de tous les garçons. Ce genre de succès aurait dû lui tourner la tête ; elle n’en avait cure. Elle se sentait toujours aussi étrangère, et ne parlait jamais de ce succès à ses parents, qui ne lui prêtaient pas, de toute façon, une attention fulgurante. Son père avait changé de travail, et officiait sur des chantiers au noir, en plus de toucher les allocations chômage. Il ne se souciait même plus de sa fille. Sa surprise fut donc assez élevée quand le directeur le convoqua pour lui proposer un saut de classe.

« Votre fille est en avance dans tous les domaines : elle lit déjà des livres destinés aux collégiens, rempli des manuels de géométrie de cinquième sans problèmes majeurs, et elle est la meilleure en sport. Entre autre, elle semble comme… S’ennuyer. Ne pas s’épanouir dans sa classe. Elle serait, je pense, plus heureuse dans une classe un peu plus âgée. »
Son père accepta, fier de son enfant. Mais elle ne se sentait pas plus concernée par ce qu’elle faisait.

Au fur et à mesure qu’elle grandissait, elle lisait de plus en plus, bien plus que des simples romans pour collégiens : des traités, des essais, de la philosophie. Elle avait déjà compris que si elle voulait sortir de cette situation familiale miséreuse, elle devait être plus intelligente que tout le monde. Ainsi, entre 16h30 et 17h30 tous les jours à partir de son saut de classe, elle allait à la bibliothèque et empruntait des livres pour les lires avec Toudou, le soir. Ce dernier était moins un Punching-ball qu’une sorte d’interlocuteur privilégié pour ses nombreuses réflexions, désormais. Elle réfléchissait toute seule, développant ses idées en s’imaginant les questions que Toudou pourrait se poser. Au début, Toudou n’était qu’une simple voix dans sa tête, comme celle qui existe quand on lit ou quand on pense, informelle, inaudible et sans timbre particulier, mais au fur et à mesure que sa capacité à imaginer des choses concrètes s’accentuait, la peluche gagna une voix légèrement aigue, enfantine, très joyeuse et enjouée. Et ils discutaient.

« Je me demande si ce que je fais sert à quelques chose, Toudou.
Evidemment que ça sert. Nous serons bientôt riches. Nous serons heureux.
Oui… Peut-être… »

Et les années passèrent ainsi.

*

Elle était en quatrième quand, un jour, on vint la chercher pendant la classe. On était en cours de mathématique, et tout le monde la regarda. Elle était devenue magnifique : une reine de glace. La jeune fille tentait pourtant de ne pas se faire remarquer par sa face le plus souvent neutre : elle s’efforçait de sourire, d’être gentille et généreuse. Elle ressentait de moins en moins l’empathie avec ce monde. Et cet état ne la préoccupait pas… Jusqu’à ce jour.

Elle suivit le surveillant qui la mena dans le bureau de son proviseur. Un homme grand, fier, chauve. Il affichait ce jour-là une mine grave. Tout le monde la dévisageait.
Elle connaissait la suite. Elle l’avait attendue. Depuis toute petite.

« Mademoiselle Meulin… Je vais être bref. »

S’ensuivit un instant de flottement tandis que l’homme en costume se raclait la gorge en sortant une feuille de papier.

« Vos parents, entama-t-il, la voix tremblante, ont étés arrêtés ce jour, pris sur le fait, en train de vendre des substances illicites. »

Elle ne broncha pas. Il reprit.

« Demain matin, on passera vous chercher chez vous, mademoiselle Meulin. Comme vous n’avez pas d’autres familles sur le sol Français, nous serons dans l’obligation de vous conduire dans un logement temporaire. Un foyer d’accueil. Vous serez suivi par un psychologue, et vous reprendrez vos études normalement… »

Il expliqua sa future vie. Elle resta de marbre. Dans la pièce, elle semblait être la seule à ne pas se sentir concernée.

*

« Je ne comprends pas, Toudou. Mes parents sont en prison. Et pourtant, je… Je n’arrive à rien sentir.
Et alors ?
Et alors… Il est vrai que je me suis toujours senti différente d’eux… Je pense être ce qu’on appelle un psychopathe. Quelqu’un sans émotions. Et apparemment, c’est grave.
Tu n’es pas triste. Tout le monde rêve de ne jamais être triste.
Oui. Mais je n’ai jamais été comme tout le monde.
C’est amusant d’être triste de ne pas pouvoir être triste, tu ne trouves pas ?
...Oui.
Si c’est amusant, pourquoi n’es-tu pas heureuse ? »

Petit pouffement.

« Tu changes de sujet, Toudou.
Oui… C’est pour que tu ries. Pour que l’avenir soit beau. Ne sois jamais triste et je serais heureux, moi aussi… L’avenir sera radieux, pour nous deux, rien que pour nous deux… »

Elle regarda l’ours. Sa tête n’avait pas changé depuis sa petite enfance. Elle, en revanche, commençait à grandir… De plus en plus stériles et inutiles, ses conversations avec Toudou lui faisait se poser des questions sur elle-même : elle était peut-être trop grande pour parler à une peluche. Peut-être n’avait-elle plus besoin de ça.
Il était peut-être temps de commencer une nouvelle vie. De se séparer de son compagnon.

« Je sais ce que tu penses. Et tu seras triste si tu le fait. »

Elle se leva. Plus personne ne pouvait plus l’empêcher de rien à partir de cette nuit.

« Les adultes sont misérables. Tu le sais. »

Elle l’ignora, s’habilla.

« Nous deux, c’est pour la vie. Tu le sais aussi. »

Elle voulait avoir le cœur net de son hypothèse folle. Elle mit l’ourson dans une petite boite.

« Ce n’est pas vrai ! Je suis toi, tu es moi ! »

Elle ferma la boite. Elle n’entendait plus la voix enfantine de son ami de toujours.

*

Elle se dirigea vers la petite ruelle sombre du Brocanteur. La boutique, elle le savait, était ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle savait aussi que c’était de là que venait l’ours en peluche. Son père ne lui avait jamais dit : elle l’avait déduis. C’était le seul endroit au monde où il aurait pu acheter pareil objet dans une boite en carton. Cette même boite qui l’abritait, maintenant…

Elle arriva devant la boutique. Elle sentait son cœur battre. C’était la première fois qu’elle venait seule.

La peur.

Elle entra.

Rien n’avait changé depuis plus de dix ans. Sauf peut-être le vieil homme, devenu plus pale et plus rabougris. Il regardait néanmoins toujours la télévision : une émission qui avait l’air de l’ennuyer au possible. Il s’empressa de l’éteindre quand il vit la jeune fille. Il parut surpris.

« Tu es toutes seule ?
-Mes parents se sont faits arrêtés. »

Elle n’avait pas changé de tons. Le vieil homme fut compatissant. En voyant la mine déconfite du Brocanteur, l’adolescente ne put s’empêcher de frémir… Elle s’ignora, et posa la boite en carton sur le comptoir.

L’homme ouvrit, et sa figure se teinta d’une sorte de nostalgie.

« Ha… Mon bonhomme, tu n’as pas changé…
-Vous le reconnaissez ? »

Il reporta son attention sur la fille.

« Bien sûr que je le reconnais ! Je sais reconnaitre un objet que j’ai vendu quand j’en vois un. Surtout quand ce dernier a fait plusieurs allez retour dans mon magasin. »

Désireuse d’en savoir plus, elle s’assit sur une vieille chaise prise au hasard dans le fatras de meuble. Le vieil homme sourit en tenant toujours Toudou dans les bras.

« C’était un simple ourson de grande collection, commença-t-il, qui avait atterris dans une famille de riche personnages. Des amis à moi… Ils étaient de braves gens, en apparence du moins... L’ours appartenait à leur plus jeune fils… Mais ce dernier a fini assez mal. »

La jeune fille s’approcha.

« Mal ?
-Oui. Il a exterminé dans son intégralité toute sa famille. Avec un couteau de cuisine. »

Surprise, elle se ramena dans sa chaise.

« Un flic m’a ramené la peluche. Apparemment, il le tenait sur lui, roulé en boule, quand on l’a retrouvé… Plus tard, j’ai appris qu’en fait, les parents avaient pratiqués des abus sur leurs enfants. On a retrouvé des choses vraiment écœurantes chez eux… Je n’ose pas imaginer ce qu’ils ont fait subir à leurs enfants… Apparemment, la plus vieille, un peu plus jeune que toi, était enceinte de quelques semaines, mais ce n’était que des commérages… Je crois. »

Elle frémit. Le brocanteur fit une petite pause, et continua.

« Je l’ai donc gardé, cet ours. Mais pas trop longtemps… Juste quatre ou cinq ans. Une femme veuve voulait réconforter son fils, et elle même sans doute, alors je lui ai donné ce que j’avais en stock. Le fils aurait eu douze ans le jour où j’ai vu revenir sa mère, l’ours dans la main…
-Aurait ? Il est mort ?
-Suicidé. »

Quelques longues secondes de silences.

« Je connaissais ce gamin. Il passait, de temps en temps. Et puis, il a sauté du cinquième étage… Apparemment, il n’avait à priori pas vraiment de raisons de se tuer. Il était aimé. Intelligent. Ce n’était pas le profil du suicidaire de douze ans… Enfin. Quelques mois plus tard, c’est ton père qui est venu… Il avait l’air préoccupé, et heureux quand il a vu l’ourson. Je lui ai parlé de son passé, mais il n’a rien voulu savoir.»

Il rangea la peluche dans la boite.

« Je te le reprendrai bien volontiers. Au prix que tu veux. Un ours avec ce genre d’histoire, ça n’a pas de prix.
-Non… Je vous le donne.»

Il lui sourit. Elle lui sourit en retour pour seul au revoir. Et partit aussi vite qu’elle était venu.

Sans Toudou.

*

Elle partit un peu plus tard de sa maison. Elle n’avait qu’assez peu d’affaires, et sa valise ne fut pas bien lourde. Le chauffeur resta là, patient. Elle regarda une dernière fois son ancienne vie. Et monta dans la voiture.

Le foyer se trouvait à l’autre bout de la ville. Un simple immeuble grisâtre entouré d’un grand jardin. Sobrement, une plaquette de fer indiquait « Maison d’Accueil Notre-Dame ». Les enfants étaient à l’école, à cette heure-là.

Il y avait un garçon, tout seul devant le portail. Il était assis sur une bordure de trottoir, et semblait s’ennuyer. L’adolescente l’étudia. Plutôt petit et bien constitué, il avait le teint basané, les cheveux noirs crépus, et les yeux bleus. Quand il vit la voiture arriver, il se leva. Il semblait avoir attendu un moment, sur ce trottoir… L’adolescente se surpris à penser ce genre de choses.

Elle ressentit une sorte d’embarra.

La voiture passa le portail, et se gara. Le chauffeur descendit de la voiture et ouvrit la porte à la jeune fille. Elle sortit, gardant sa valisette près d’elle. Le garçon venait vers elle, avec une démarche traînante, mal réveillé vraisemblablement. Il la regarda, et sortit un petit papier de sa poche. La jeune fille le fixa avec curiosité.

Il lut le papier à haute voix. Cette dernière était cassée par la fatigue.

« Elisa Meulin. »

Il se racla la gorge et continua. Il semblait hacher chaque mot, articulant comme il le pouvait.

« Bonjour et bienvenu à toi. Nous sommes très heureux de t’accueillir chez nous, à la maison d’accueil Notre-Dame… »

Elle eut envie de rire. Sans doute à cause de l’attitude du garçon, assez gêné du regard de la jeune fille. Le soleil commençait à s’élever dans le ciel. Le vent était léger. Le mois de mai faisait fleurir les arbres autour de la résidence.

Une larme coula sur sa joue. Une poussière dans l’œil, sans doute… Le garçon arrêta sa lecture, et s’approcha d’elle en vitesse.

« Eux, ça va ? Tu…
-Oui. Juste une poussière.
-Ha… Ouais. »

Il regarda le texte. Le remis dans sa poche.

« J’crois que tu t’en fou, de ça. T’façon, tout ce que t’as à savoir, ici, c’est que c’est cool. Enfin… »

Ils se regardèrent dans les yeux… Et il détourna le regard, surement en proies à une gêne due à l’âge... Elle, elle pensait à autre chose.

Ses parents.

« Bon, je suis sensé de faire visiter. J’m’appelle Farid, si t’as besoin, j’crois que tu t’en fou, mais bon… Tu viens ? »

Elle vint.

*

Nue, aux milieux de la pièce, elle pleurait.

Les draps étaient couverts de sang. Et ses mains… Et son corps… Souillée…

Elle lâcha le couteau de cuisine. Il retomba, une dernière fois, sur le corps inerte de Farid.

Elle tremblait.

Elle ne savait pas comment, elle ne savait pas pourquoi. Jamais elle n’avait aimé quelqu’un comme lui. Jamais.

Et il était le seul. Le seul qu’elle avait.

Son cœur allait exploser. Ses yeux n’avaient plus la force de pleurer. Ses membres plus la force de trembler. Lentement, elle se retourna, vers la fenêtre. Elle l’ouvrit. Le froid de Mars envahis la pièce, et la pluie la trempa.

Elle se retourna une dernière fois vers la pièce.

Vers ce qu’elle croyait dans un carton.

Vers son regard borgne.

Et sauta.

La petite fille n’avait plus peur du noir.

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commentaires

G
c'est pas effrayant, c'est d'un dépriment réalisme: un enfant ayant subbi un choc ou un traumatisme mentale l'ayant rendu psychologiquement instable ou dépréssif. il se retire de la société,devient asociable,préférant sa propre compagnie,mais comme un humain a besoin d'amour,il créé une seconde personnalité incarné (ici) par une pelluche. Avec l'age,l'enfant décide de se séparer de sa peluche,il focalise son amour vers un etre humain,mais, recevoir de l'amour réel de ce qu'on aime est un choc violent,car la seconde personnalité n'est pas dans la peluche,mais enfoui dans le subconcient. Cette seconde personnalité a besoin de l'imagination et de l'amour tout entierr de l'enfant. cette seconde personnalité prend le controle et élimine les éléments perturbateur
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A
Magnifique! le texte est long mais on ne s'en lasse pas, et même si la fin est brusque, elle reste plaisante! beau boulot!
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U
c'est trop long pour finalement une fin dépressive des merde
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E
J’adore te lire et tous tes articles qui sont non seulement intéressants mais surtout stimulant
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A
Sociopathe et non psychopathe --'
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