Ce matin là, le café avait un goût délicieux. Il faut dire qu'avec la soirée qu'il avait vécu la veille, " même de la merde de chien aurait le goût du foie gras " s'était il dit en riant. Marcus reprit une gorgée de son délicieux café, et alluma la télé. Il était 9 heures du matin, et déjà les infos repassaient en boucle les évènement de la veille. Hier soir, une fusillade avait éclaté dans un night club de la ville, faisant 3 morts. Marcus vida son café d'une traite, et éteignit la télé, jetant la télécommande sur le canapé. Il n'avait pas besoin d'en savoir plus : il y était.
Marcus était garde du corps dans une entreprise de sécurité qui mettait des gros bras au service de clients fortunés. Bien sur c'était un métier dangereux, mais Marcus était prêt à jouer le jeu. C'était un trentenaire célibataire, d'apparence bourrue dont la carrure le prédestinait à ce métier. Étant enfant, sa grand mère ne cessait de répéter que " cet enfant aidera ses semblables à vivre, en leur faisant don de sa vie ". C'était donc tout naturellement qu'il s'était orienté vers la sécurité privée. Mais ce n'était pas que le goût du risque qui l'avait attiré vers ce métier. C'était aussi l'argent. Il pouvait toucher jusqu’à 8000 $ en un soir, selon l'importance du client. Mais en ce moment, les contrats qu'acceptaient sa boite s'élevaient à hauteur de 1000 voire 1500 $. Elle n'était pas très renommée, et elle ne gagnait pas non plus beaucoup d'argent. Sa situation financière plus que précaire la poussait à accepter n'importe quel contrat, et même les plus délicats. Combien de fois s'était il retrouvé à protéger des dealers et des proxénètes dans les quartiers les plus pourris de la ville ? Il n'avait pas assez de doigts sur ses mains pour les compter. Il n'en avait plus que neuf en fait, son petit doigt ayant été arraché justement lors d'un de ces contrats désastreux.
Le contrat d'hier était l'un d'eux. Lui et deux de ses collègues avaient été assignés à la protection d'un patron de night club à la réputation sulfureuse, Antonio Bernardi. La soirée avait bien commencé et Marcus s'apprêtait à aller aux toilettes lorsqu'un groupe d'homme avait fait irruption dans la boite de nuit en tirant des coups de feu en l'air. La panique était totale. Il ordonna à ses deux collègues de dégager la voie jusqu’à la porte de derrière qui donnait sur la ruelle où leur voiture était garée, pendant qu'il allait chercher le client. Marcus monta les marches qui menaient au bureau de Bernardi, et hurla à ce dernier de le suivre. En sortant du bureau, il tomba nez à nez avec un des hommes qui avaient pénétré dans la boite. Sans aucune hésitation, il pressa la détente de son arme et la tête de l'intrus explosa, retapissant le mur du couloir de sang. Il tira Bernardi par le bras et courut vers la porte de derrière. Entendant des pas derrière lui, il eut à peine le temps de se coucher que des balles sifflèrent à ses oreilles. Il se retourna sur le dos pour faire face à ses adversaires et vida son chargeur sur eux. Leurs corps inanimés tombèrent sur le sol tandis qu'il se relevait. Il sauta dans la voiture, qui démarra en trombe.
Marcus était sous la douche lorsque le téléphone sonna. Il le laissa sonner, savourant l'eau chaude qui coulait sur son visage, jusqu'à ce que le répondeur prenne le relais. Le message automatisé parla de sa voix monotone, et le bip retentit. Marcus reconnut instantanément la voix qui parla juste après. C'était son patron. " Salut Marcus, c'est Chaz. Je voulais te féliciter pour ton boulot hier soir, t'as assuré. Tellement que Bernardi à ajouté 6000 $ à ta paie. 6000 putains de dollars Marcus ! Et t'imagines même pas la pub qu'il est en train de nous faire ! Je crois que la boite va repartir comme avant ! Ah et tant que j'y suis, j'ai euh... Quelque chose à te proposer. Mais je préfère t'en parler de vive voix, passe au bureau cet après midi, salut Marcus ! 6000 dollars put... *CLIK* Marcus sortit de la douche, se regarda dans le miroir et poussa un soupir. Il détestait son patron. Chaz Alvarez, un connard assoiffé d'argent, prêt à vendre sa mère pour un billet. Il retourna dans son salon et s'affala sur son canapé. La journée allait être longue.
Le soleil tapait fort, et l'air était étouffant lorsqu'il sortit de sa voiture. Il n'avait aucune envie de voir son patron, mais il se força à traverser la rue pour entrer dans le petit bâtiment sur lequel une plaque indiquait " Alvarez Sécurité - Vôtre assurance vie ". A peine eût il passé le pas de la porte que Chaz lui sauta dessus : " Marcus ! Mon champion ! Ha ha comment vas tu ? Dure soirée hein ? Rha j'aurais aimé être là, te voir défourailler dans tous les sens ça doit donner hein ? Tiens, ça c'est pour toi mon grand ! dit-il en lui tendant une enveloppe. Tes 6000 dollars ! Tes 6000 put...
- Putains de dollars, je sais, termina Marcus, d'un ton désinvolte. Bon tu m'as pas fait venir ici juste pour me féliciter, alors si tu me disais pourquoi je suis là ?
- Oh, excuse moi, je me suis emballé. Mais tu sais, l'action j'adore ça ! Malgré le fait que j'ai pas tenu un flingue depuis 20 ans et...
Chaz sut en regardant le visage de Marcus qu'il l'ennuyait avec ses histoires. Il s'assit à son bureau, et invita Marcus à en faire de même.
"Bon, Marcus, j'ai reçu un appel ce matin. On à un nouveau contrat. Et pas des moindres. J'ai même trouvé bizarre que ce mec téléphone en personne, surtout ici, faut pas se voiler la face, on est pas la meilleure des entreprises de sécurité privée et...
- C'est qui ? le coupa Marcus.
- C'est... Alexander Burgess. "
Dès qu'il entendit son nom, Marcus sentit comme une décharge électrique secouer son corps, et un frisson remonta lentement le long de sa colonne vertébrale. Il savait qui était Alexander Burgess. Tout le monde le savait en fait. Un entrepreneur, un pilier de la bourse internationale, qui brassait des milliards de dollars. Un homme à qui tout réussit. Il était apparu de nulle part, sortant de l'anonymat du jour au lendemain. Il avait réussi à s'imposer parmi tous les requins de la finance sans même aller à l'université, et personne ne le connaissait il y'à de cela dix ans. Mais ce n'était pas l'évocation de l'homme qui le fit frissonner, c'étaient les souvenirs. Parmi les boites de sécurité privées, on disait que Alexander Burgess était l'homme le plus détesté du monde. Être son garde du corps signifiait mourir . Il ne voyageait pas souvent, mais au moins une fois par an, il prenait la route dans son 4x4 blindé, pour relier New York à Las Vegas. Et chaque année, il louait les services d'une nouvelle équipe de sécurité. Et chaque année, cette équipe mourrait pour lui permettre de vivre. Il y a trois ans, le frère de Marcus, Seth, se trouvait dans une de ces équipes. Et il était mort, comme les autres. Marcus avait fait le deuil de son frère, mais la seule évocation du nom de Burgess réveillait en lui une certaine tristesse.
"Marcus ? Ça va ?" La voix de Chaz le tira de sa torpeur. " Alexander Burgess, il vient cet après midi, je vais vous présenter à lui, toi et les autres. Je sais ce qui est arrivé à Seth mais je te prie de...
- Non, c'est hors de question, ce type est maudit, la planète entière veut sa peau, et je crèverais avant de toucher ma paie alors oublie Chaz.
- Marcus, je sais que c'est dur, mais pense à... Pense à la boite. C'est l'occasion rêvée de renflouer la caisse !
- Tu te fous de ce que je peux penser Chaz, tout ce que tu veux c'est du fric, faire repartir ta boite, t'as que ça dans ta tête où quoi ?
- Marcus, Marcus, ne me chauffe pas sur ce terrain là parce que je te rappelle que c'est moi et donc la boîte qui te paie. Plus de boite, plus de paie. C'est simple Marcus. Je te demande juste d'aller avec lui, tu seras pas seul, tu seras avec...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase, la porte d'entrée s'ouvrit.
Marcus reconnut ses collègues Mike, Brandon et Jonathan, trois colosses qui portaient des costumes et des lunettes de soleil. Des clichés vivants pensa-t-il. Il leur adressa un bref salut de la main, et aperçut un homme derrière eux. Il était de petite taille, plutôt rondouillard. Il semblait inquiet, et il transpirait à grosses goutes dans son costume 3 pièces. Il bouscula les colosses et fila droit vers Chaz. Il regardait partout autour de lui, et donnait l'impression qu'il allait crier à tout moment. Il s'adressa à Chaz avec empressement : " Monsieur Alvarez, voici le paiement, et voici l'itinéraire. Vous le donnerez à vos hommes. Je veux qu'ils voyagent dans la même voiture que moi, à aucun moment je ne dois les perdre de vue, et à aucun moment il ne doivent se déplacer sans que je le leur ai ordonné. Compris ?
- Compris monsieur Burgess, dit Chaz en se jetant sur l'enveloppe qui contenait l'argent. Permettez moi de vous présenter vos gard...
- Oui oui, pouvons nous y aller maintenant ? Il avait joint ses mains dans un geste de prière, et continuait de regarder autour de lui frénétiquement.
- Euh... Bien sûr monsieur Burgess. Brandon, Mike et Jonathan seront vos gardes pour le voyage, ils vous ac...
- Comment ?! Trois gardes ?! Mais... Mais je vous avait pourtant BIEN spécifié que je voulais... que j'avais BESOIN de quatre gardes ! Pas trois, quatre ! QUATRE GARDES MONSIEUR ALVAREZ !
Il s'était mis à hurler, et tous dans la pièce le regardaient, stupéfiés.
Chaz essaya de calmer Burgess qui semblait imploser. " Monsieur Burgess, calmez vous, je vous ferai une remise sur le prix, je suis sur que...
- Une remise ? UNE REMISE ? Monsieur Alvarez sachez que je me fout du prix que je devrai payer mais je veux QUATRE GARDES !
- Monsieur Burgess je... Chaz regarda Marcus, et le supplia du regard.
Marcus se mordait l’intérieur des joues. Il était là, assistant à un scène qui paraissait sortir tout droit d'un film, alors que Chaz le regardait. Il se prit soudain de pitié pour son patron. Ce sentiment le surprit. " Je serai le quatrième, dit il d'une voix forte, mais je ne le fais pas pour toi Chaz. Je suis prêt si vous l'êtes, monsieur Burgess. "
Le petit homme rondouillard se tût, et son visage se détendit. Son regard se planta dans celui de Marcus. Il pouvait y lire toute la reconnaissance du monde.
Burgess regarda une fois de plus autour de lui et s’apprêtait à partir lorsqu'un grondement retentit. Le petit homme regarda sa montre, et son visage qui semblait si détendu quelques secondes auparavant, sembla se décomposer. Il sortit rapidement du bâtiment et intima l'ordre à ses gardes du corps de le suivre. Marcus adressa un dernier regard à Chaz, et emboita le pas à Burgess. L'air était toujours aussi étouffant dehors, mais le ciel était pourtant dégagé. Aucun signe d'orage. Burgess fit signe à Marcus et ses collègues de monter dans le 4x4 qui était garé devant eux. Marcus monta devant, sur le siège passager, laissant le volant à Mike. Jonathan et Brandon quant à eux, montèrent à l'arrière, enserrant Burgess entre leurs imposantes carrures. Il avait les yeux fermés, et semblait endormi. Mike régla le GPS pour qu'il indique la direction de Las Vegas, et démarra la voiture. Au bout d'une heure, Marcus tenta d'entamer une conversation. " Ça va monsieur Burgess ? Vous allez à Las Vegas alors. Pas mal pour se d...
- Taisez vous donc, contentez vous d'observer la route ! Je ne vous paie pas pour parler ! " Burgess avait coupé Marcus d'un ton sec, presque agressif. Aussitôt le silence revenu, Burgess ferma les yeux. Soudain, une violente secousse ébranla le véhicule. Mike redressa le véhicule tant bien que mal et s'arrêta brusquement. Immobilisé au milieu de la route, le 4x4 était le seul véhicule à des kilomètres à la ronde. La petite route de campagne que le GPS avait indiqué était déserte. Heureusement, sinon une collision aurait pu être fatale. A l’intérieur, tous se regardaient, sous le choc. Marcus se retourna pour s'assurer que Burgess n'avait rien, mais celui ci avait les yeux rivés sur sa montre. Il était paniqué, et il recommençait à regarder tout autour de lui. Il s'écria << Pouvons nous reprendre la route ? >> presque comme si il allait pleurer. Marcus regarda Mike, qui semblait aussi troublé que lui, et le véhicule continua sa route.
<< C'est pas la route de Las Vegas. >> dit Mike, brisant le silence qui régnait dans le 4x4 depuis bientôt 2 heures. 2 heures après l'étrange secousse qui l'avait ébranlé. Le soleil commençait à se coucher, baignant le paysage alentour d'une lueur orangée. << On est au milieu de nulle part, t'as vu un panneau qui disait Las Vegas toi ? Ce foutu GPS fait n'importe quoi. Et puis pourquoi on prend pas l'autoroute ? C'est vrai quoi merde, en passant par des routes comme ça on en à pour au moins trois jours ! On est perdu Marcus, continua Mike.
- On est pas perdus, c'est un raccourci, lui répondit Marcus. Mr Burgess est quelqu'un de très... ciblé, et il veut éviter les grands axes, n'est-ce pas Mr Burgess ? >>
Il se retourna, mais Burgess ne lui répondit pas. Il avait toujours les yeux fermés, et les mains jointes. Il transpirait à grosses gouttes désormais, et ce malgré la température qui s'était considérablement rafraichie avec le coucher du soleil. Il haussa les sourcils, et se retourna en direction de la route. Une nouvelle secousse remua le véhicule, mais plus faible que la précédente. Mike n'eut pas de difficulté à redresser le 4x4, et Marcus regarda dans le rétroviseur. Pas de nid de poule sur la route. Il ouvrit la vitre, pas de vent. Ou du moins pas assez fort pour secouer un 4x4 blindé de la sorte. Il s’apprêtait à demander à Burgess ce qu'il se passait quand celui ci ouvrit ses yeux et cria << Tournez ici Mike ! A droite ! Dépêchez vous bon sang ! >>. Mike, surpris, obtempéra. Marcus jeta un regard sur le GPS. La route sur laquelle s'engageait le véhicule était un chemin sans issue. Il se déroulait sur 3 kilomètres et finissait devant un champ. << Où allons nous Mr Burgess, demanda Marcus, inquiet. Il n'y a rien ici... >> Burgess avait toujours les yeux fixés sur sa montre, et semblait obsédé par elle. Marcus regarda la sienne, il était 20h46. Mike poussa l'accélérateur à fond, devant l'insistance de Burgess pour qu'il aille plus vite. Les secousses recommencèrent, violemment. Si bien que Mike dû user de sa force pour maintenir le 4x4 sur le petit sentier. Un instant, Marcus pensa que le véhicule allait basculer sur le côté et faire de violents tonneaux, mais rien n'en fit. Burgess semblait affolé, et il pleurait. Il pleurait vraiment, et ses larmes mêlées aux goutes de sueur qui ruisselaient sur son visage donnaient l'impression qu'il fondait. << Il n'est pas encore 21h00 !! Oh SEIGNEUR il n'est PAS ENCORE L'HEURE je peux encore y arriver ! >> criait-il entre deux sanglots. Cette fois, Marcus n'était plus inquiet, ni même surpris, il avait peur. Et à en voir leurs têtes, ses collègues aussi. Les secousses cessèrent dès que le véhicule arriva devant le champ. La nuit était tombée désormais, et seuls les phares du 4x4 perçaient l'obscurité. Devant eux se dressait un champ de maïs, comme on en trouve beaucoup dans cette région. A peine le véhicule immobilisé, Burgess sauta littéralement à l’extérieur. Il courut et s'agenouilla devant le champ. Marcus descendit prudemment de la voiture, c'était lui qui regardait partout autour de lui désormais.
Les 4 gardes s'approchèrent doucement de Burgess, qui était prostré devant le champ de maïs, la tête touchant le sol et marmonnant dans sa barbe. Sa voix était secouée de sanglots, mais Marcus réussit à déchiffrer ce qu'il disait. << Je vous en prie seigneur, il n'est pas trop tard ! Il n'est pas encore 21 heures et en voici 4... Acceptez les ô seigneur... Je vous... >> Il s'arrêta. Le vent s'était légèrement levé, agitant délicatement le maïs. L'atmosphère devenait oppressante, et Marcus se sentait épié. Une odeur parvint jusqu’à lui, et l'enveloppa. Une odeur de gaz, mêlée à une odeur plus nauséabonde. Comme de la chair en décomposition. Marcus avait peur. Le maïs bougea, mais plus rapidement cette fois, et, entre deux épis, Marcus crut voir un visage. Des frissons parcoururent sa colonne vertébrale jusqu’à sa nuque, qui se raidit. Ce visage était blême, pâle et amaigri. Comme... Comme un cadavre. Un cadavre étrangement familier. Comme si il l'avait toujours connu. Le visage qu'il avait entrevu ressemblait à celui de son frère. Qu'est ce qui était en train de se passer ? Il se donna une gifle, essayant de reprendre ses esprits, mais il était comme hypnotisé. Soudain, une voix s'éleva. Elle semblait venir de partout, et elle était si forte que Marcus crût un instant que c'était le tonnerre. << Alexander... Tu as failli arriver trop tard cette année. Sont-elles là ?
- O... Oui, elles sont là, 4, comme vous l'avez demandé, répondit Burgess, le front touchant le sol.
- Tu es misérable Alexander. Mais tu le sais déjà. Il n'y à qu'un être misérable qui puisse vendre chaque année 4 âmes pour sa propre prospérité... J'aime beaucoup ! Ha ha ha ! >>
Le rire de la... chose était terrifiant. Il semblait rouler dans le ciel et naviguer dans les échos. Marcus dû se boucher les oreilles pour ne pas qu'elles explosent. Le rire se tût. La voix semblait maintenant dans sa tête. << Marcus Kendraw, du Milwaukee. Personnalité intéressante... Colère refoulée, deuil... Kendraw... Attends, ça me dit quelque chose. J'ai connu un Kendraw ! Hmm... Seth ? Oui ! Seth Kendraw ! Ha ha un sacré garnement ! Il n’arrêtait pas de te faire des croche pattes quand vous faisiez la course. Mais il te laissait gagner. Ce bon vieux Seth. Tu avais quel âge, 8 ans ? >>
La voix n'était plus du tout terrifiante. Elle était plutôt comme celle d'un grand père qui raconte ses souvenirs à ses petits enfants. Mais malgré ça, Marcus était terrifié. Il n'osait dire mot. << Tu te demandes comment je sais ça, et qui je suis ? C'est légitime. Je suis l'éternel, j'égorge l'agneau égaré dans la vallée de la mort, je suis le clou dans les membres tremblants du Christ, celui qui régnera sur cette terre bla bla bla... Très mélodramatique n'est ce pas ? J'aime assez. J'ai répété beaucoup avant d'en arriver là, et je dois avouer que ça fait toujours son petit effet, dit la voix avec un petit rire. Je suis le Diable, Marcus.>>
Cette dernière phrase avait sonné comme une menace. Marcus était paralysé. Il aurait aimé fuir à toutes jambes, mais il ne les sentait plus. La seule chose qu'il sentait encore était le liquide chaud qui coulait le long de ses jambes. C'était donc ça. Toutes ces morts, chaque année. Alexander Burgess n'était pas détesté, il était vendu. Vendu au Diable. L'homme rondouillard qui était sorti de nulle part, devenu le plus grand de la finance, n'était là que grâce aux dizaines... ou aux centaines d'âmes qu'il avait livré au Diable. La pensée que Seth faisait partie de ces âmes arrachées lui retourna l'estomac. Il tourna doucement la tête, et vit tout d'abord Mike s'effondrer sur le sol, hurlant de douleur. Puis vint le tour de Jonathan, et celui de Brandon. Ils se roulaient par terre en hurlant à la mort. Marcus vit un éclair blanc qui l'aveugla. Il sentit une douleur intense s'emparer de lui. Comme si son corps se déchirait de l’intérieur. Il tomba au sol, et doucement, la douleur s'éloigna, et l'obscurité l'envahit. Et puis plus rien. Le néant. La dernière pensée qui lui traversa l'esprit fut les mots de sa grand mère. " cet enfant aidera ses semblables à vivre, en leur faisant don de sa vie ".
Burgess releva la tête, et écouta. Le vent soufflait doucement dans les feuilles des arbres, et le maïs ondulait au grès de la brise. Le silence était complet. Il se releva, et regarda autour de lui. Il était seul, devant le 4x4, dont les 4 portes étaient encore ouvertes. Les colosses qui lui avaient servis de gardes du corps avaient disparus. Burgess essuya une larme du revers de sa main, et monta dans le véhicule. Il enclencha le contact, alluma la radio. << Vous écoutez GH Radio, il est 21h10, nous sommes le 18 mai, et tout de suite un bon vieux classique de nos jeunes années, AC/DC et " Highway to Hell " ! >> Burgess éclata de rire. Il resta là, plié en deux sur le siège conducteur, à s'esclaffer, pendant 5 bonnes minutes. Il éteint la radio, et le 4x4 s'éloigna dans l'obscurité, regagnant la route et laissant derrière lui le champ de maïs. Jusqu’à l'année prochaine.